Je vous écris depuis votre futur

  • nyamulagira

    9977 messaggi

    Belgio

    L'écrivaine italienne Francesca Melandri écrit de Rome, où elle est confinée depuis le 9 mars. Quotidien chamboulé, vie sociale réinventée, angoisses exacerbées... son pays l'a expérimenté avant que nous y plongions aussi.

    "Je vous écris d'Italie, je vous écris donc depuis votre futur.
    Nous sommes maintenant là où vous serez dans quelques jours.
    Les courbes de l'épidémie nous montrent embrassés en une danse parallèle dans laquelle nous nous trouvons quelques pas devant vous sur la ligne du temps, tout comme Wuhan l'était par rapport à nous il y a quelques semaines.

    Nous voyons que vous vous comportez comme nous nous sommes comportés.

    Vous avez les mêmes discussions que celles que nous avions il y a encore peu de temps, entre ceux qui encore disent «toutes ces histoires pour ce qui est juste un peu plus qu'une grippe», et ceux qui ont déjà compris.

    D'ici, depuis votre futur, nous savons par exemple que lorsqu'ils vous diront de rester confinés chez vous, d'aucuns citeront Foucault, puis Hobbes. Mais très tôt vous aurez bien autre chose à faire.

    Avant tout, vous mangerez.
    Et pas seulement parce que cuisiner est l'une des rares choses que vous pourrez faire.

    Sur les réseaux sociaux, naîtront des groupes qui feront des propositions sur la manière dont on peut passer le temps utilement et de façon instructive ; vous vous inscrirez à tous, et, après quelques jours, vous n'en pourrez plus.

    Vous sortirez de vos étagères la Peste de Camus, mais découvrirez que vous n'avez pas vraiment envie de le lire.

    Vous mangerez de nouveau.
    Vous dormirez mal.
    Vous vous interrogerez sur le futur de la démocratie.
    Vous aurez une vie sociale irrésistible, entre apéritifs sur des tchats, rendez-vous groupés sur Zoom, dîners sur Skype.

    Vous manqueront comme jamais vos enfants adultes, et vous recevrez comme un coup de poing dans l'estomac la pensée que, pour la première fois depuis qu'ils ont quitté la maison, vous n'avez aucune idée de quand vous les reverrez.

    De vieux différends, de vieilles antipathies vous apparaîtront sans importance. Vous téléphonerez pour savoir comment ils vont à des gens que vous aviez juré de ne plus revoir.

    Beaucoup de femmes seront frappées dans leur maison.

    Vous vous demanderez comment ça se passe pour ceux qui ne peuvent pas rester à la maison, parce qu'ils n'en ont pas, de maison.

    Vous vous sentirez vulnérables quand vous sortirez faire des courses dans des rues vides, surtout si vous êtes une femme.

    Vous vous demanderez si c'est comme ça que s'effondrent les sociétés, si vraiment ça se passe aussi vite, vous vous interdirez d'avoir de telles pensées.

    Vous rentrerez chez vous, et vous mangerez.
    Vous prendrez du poids.
    Vous chercherez sur Internet des vidéos de fitness.
    Vous rirez, vous rirez beaucoup. Il en sortira un humour noir, sarcastique, à se pendre.

    Même ceux qui prennent toujours tout au sérieux auront pleine conscience de l'absurdité de la vie.

    Vous donnerez rendez-vous dans les queues organisées hors des magasins, pour rencontrer en personne les amis - mais à distance de sécurité.

    Tout ce dont vous n'avez pas besoin vous apparaîtra clairement.
    Vous sera révélée avec une évidence absolue la vraie nature des êtres humains qui sont autour de vous : vous aurez autant de confirmations que de surprises.

    De grands intellectuels qui jusqu'à hier avaient pontifié sur tout n'auront plus de mots et disparaîtront des médias, certains se réfugieront dans quelques abstractions intelligentes, mais auxquelles fera défaut le moindre souffle d'empathie, si bien que vous arrêterez de les écouter.

    Des personnes que vous aviez sous-estimées se révéleront au contraire pragmatiques, rassurantes, solides, généreuses, clairvoyantes.

    Ceux qui invitent à considérer tout cela comme une occasion de renaissance planétaire vous aideront à élargir la perspective, mais vous embêteront terriblement, aussi : la planète respire à cause de la diminution des émissions de CO2, mais vous, à la fin du mois, comment vous allez payer vos factures de gaz et d'électricité ?

    Vous ne comprendrez pas si assister à la naissance du monde de demain est une chose grandiose, ou misérable.

    Vous ferez de la musique aux balcons. Lorsque vous avez vu les vidéos où nous chantions de l'opéra, vous avez pensé

    «Ah ! les Italiens», mais nous, nous savons que vous aussi vous chanterez la Marseillaise. Et quand vous aussi des fenêtres lancerez à plein tube I Will Survive, nous, nous vous regarderons en acquiesçant, comme depuis Wuhan, où ils chantaient sur les balcons en février, ils nous ont regardés.

    Beaucoup s'endormiront en pensant que la première chose qu'ils feront dès qu'ils sortiront, sera de divorcer.
    Plein d'enfants seront conçus.

    Vos enfants suivront les cours en ligne, seront insupportables, vous donneront de la joie.
    Les aînés vous désobéiront, comme des adolescents ; vous devrez vous disputer pour éviter qu'ils n'aillent dehors, attrapent le virus et meurent.

    Vous essaierez de ne pas penser à ceux qui, dans les hôpitaux, meurent dans la solitude.
    Vous aurez envie de lancer des pétales de rose au personnel médical.
    On vous dira à quel point la société est unie dans un effort commun, et que vous êtes tous sur le même bateau. Ce sera vrai.

    Cette expérience changera à jamais votre perception d'individus. L'appartenance de classe fera quand même une très grande différence.
    Etre enfermé dans une maison avec terrasse et jardin ou dans un immeuble populaire surpeuplé : non, ce n'est pas la même chose.

    Et ce ne sera pas la même que de pouvoir travailler à la maison ou voir son travail se perdre.

    Ce bateau sur lequel vous serez ensemble pour vaincre l'épidémie ne semblera guère être la même chose pour tous, parce que ça ne l'est pas et ne l'a jamais été.

    A un certain moment, vous vous rendrez compte que c'est vraiment dur.
    Vous aurez peur.
    Vous en parlerez à ceux qui vous sont chers, ou alors vous garderez l'angoisse en vous, afin qu'ils ne la portent pas.
    Vous mangerez de nouveau.

    Voilà ce que nous vous disons d'Italie sur votre futur.

    Mais c'est une prophétie de petit, de très petit cabotage : quelques jours à peine.

    Si nous tournons le regard vers le futur lointain, celui qui vous est inconnu et nous est inconnu, alors nous ne pouvons vous dire qu'une seule chose : lorsque tout sera fini, le monde ne sera plus ce qu'il était."

    Francesca MELANDRI
    traduit de l'italien par Robert MAGGIORI
  • posty13

    182 messaggi

    Francia

    L'écrivaine italienne Francesca Melandri écrit de Rome, où elle est confinée depuis le 9 mars. Quotidien chamboulé, vie sociale réinventée, angoisses exacerbées... son pays l'a expérimenté avant que nous y plongions aussi.

    "Je vous écris d'Italie, je vous écris donc depuis votre futur.
    Nous sommes maintenant là où vous serez dans quelques jours.
    Les courbes de l'épidémie nous montrent embrassés en une danse parallèle dans laquelle nous nous trouvons quelques pas devant vous sur la ligne du temps, tout comme Wuhan l'était par rapport à nous il y a quelques semaines.

    Nous voyons que vous vous comportez comme nous nous sommes comportés.

    Vous avez les mêmes discussions que celles que nous avions il y a encore peu de temps, entre ceux qui encore disent «toutes ces histoires pour ce qui est juste un peu plus qu'une grippe», et ceux qui ont déjà compris.

    D'ici, depuis votre futur, nous savons par exemple que lorsqu'ils vous diront de rester confinés chez vous, d'aucuns citeront Foucault, puis Hobbes. Mais très tôt vous aurez bien autre chose à faire.

    Avant tout, vous mangerez.
    Et pas seulement parce que cuisiner est l'une des rares choses que vous pourrez faire.

    Sur les réseaux sociaux, naîtront des groupes qui feront des propositions sur la manière dont on peut passer le temps utilement et de façon instructive ; vous vous inscrirez à tous, et, après quelques jours, vous n'en pourrez plus.

    Vous sortirez de vos étagères la Peste de Camus, mais découvrirez que vous n'avez pas vraiment envie de le lire.

    Vous mangerez de nouveau.
    Vous dormirez mal.
    Vous vous interrogerez sur le futur de la démocratie.
    Vous aurez une vie sociale irrésistible, entre apéritifs sur des tchats, rendez-vous groupés sur Zoom, dîners sur Skype.

    Vous manqueront comme jamais vos enfants adultes, et vous recevrez comme un coup de poing dans l'estomac la pensée que, pour la première fois depuis qu'ils ont quitté la maison, vous n'avez aucune idée de quand vous les reverrez.

    De vieux différends, de vieilles antipathies vous apparaîtront sans importance. Vous téléphonerez pour savoir comment ils vont à des gens que vous aviez juré de ne plus revoir.

    Beaucoup de femmes seront frappées dans leur maison.

    Vous vous demanderez comment ça se passe pour ceux qui ne peuvent pas rester à la maison, parce qu'ils n'en ont pas, de maison.

    Vous vous sentirez vulnérables quand vous sortirez faire des courses dans des rues vides, surtout si vous êtes une femme.

    Vous vous demanderez si c'est comme ça que s'effondrent les sociétés, si vraiment ça se passe aussi vite, vous vous interdirez d'avoir de telles pensées.

    Vous rentrerez chez vous, et vous mangerez.
    Vous prendrez du poids.
    Vous chercherez sur Internet des vidéos de fitness.
    Vous rirez, vous rirez beaucoup. Il en sortira un humour noir, sarcastique, à se pendre.

    Même ceux qui prennent toujours tout au sérieux auront pleine conscience de l'absurdité de la vie.

    Vous donnerez rendez-vous dans les queues organisées hors des magasins, pour rencontrer en personne les amis - mais à distance de sécurité.

    Tout ce dont vous n'avez pas besoin vous apparaîtra clairement.
    Vous sera révélée avec une évidence absolue la vraie nature des êtres humains qui sont autour de vous : vous aurez autant de confirmations que de surprises.

    De grands intellectuels qui jusqu'à hier avaient pontifié sur tout n'auront plus de mots et disparaîtront des médias, certains se réfugieront dans quelques abstractions intelligentes, mais auxquelles fera défaut le moindre souffle d'empathie, si bien que vous arrêterez de les écouter.

    Des personnes que vous aviez sous-estimées se révéleront au contraire pragmatiques, rassurantes, solides, généreuses, clairvoyantes.

    Ceux qui invitent à considérer tout cela comme une occasion de renaissance planétaire vous aideront à élargir la perspective, mais vous embêteront terriblement, aussi : la planète respire à cause de la diminution des émissions de CO2, mais vous, à la fin du mois, comment vous allez payer vos factures de gaz et d'électricité ?

    Vous ne comprendrez pas si assister à la naissance du monde de demain est une chose grandiose, ou misérable.

    Vous ferez de la musique aux balcons. Lorsque vous avez vu les vidéos où nous chantions de l'opéra, vous avez pensé

    «Ah ! les Italiens», mais nous, nous savons que vous aussi vous chanterez la Marseillaise. Et quand vous aussi des fenêtres lancerez à plein tube I Will Survive, nous, nous vous regarderons en acquiesçant, comme depuis Wuhan, où ils chantaient sur les balcons en février, ils nous ont regardés.

    Beaucoup s'endormiront en pensant que la première chose qu'ils feront dès qu'ils sortiront, sera de divorcer.
    Plein d'enfants seront conçus.

    Vos enfants suivront les cours en ligne, seront insupportables, vous donneront de la joie.
    Les aînés vous désobéiront, comme des adolescents ; vous devrez vous disputer pour éviter qu'ils n'aillent dehors, attrapent le virus et meurent.

    Vous essaierez de ne pas penser à ceux qui, dans les hôpitaux, meurent dans la solitude.
    Vous aurez envie de lancer des pétales de rose au personnel médical.
    On vous dira à quel point la société est unie dans un effort commun, et que vous êtes tous sur le même bateau. Ce sera vrai.

    Cette expérience changera à jamais votre perception d'individus. L'appartenance de classe fera quand même une très grande différence.
    Etre enfermé dans une maison avec terrasse et jardin ou dans un immeuble populaire surpeuplé : non, ce n'est pas la même chose.

    Et ce ne sera pas la même que de pouvoir travailler à la maison ou voir son travail se perdre.

    Ce bateau sur lequel vous serez ensemble pour vaincre l'épidémie ne semblera guère être la même chose pour tous, parce que ça ne l'est pas et ne l'a jamais été.

    A un certain moment, vous vous rendrez compte que c'est vraiment dur.
    Vous aurez peur.
    Vous en parlerez à ceux qui vous sont chers, ou alors vous garderez l'angoisse en vous, afin qu'ils ne la portent pas.
    Vous mangerez de nouveau.

    Voilà ce que nous vous disons d'Italie sur votre futur.

    Mais c'est une prophétie de petit, de très petit cabotage : quelques jours à peine.

    Si nous tournons le regard vers le futur lointain, celui qui vous est inconnu et nous est inconnu, alors nous ne pouvons vous dire qu'une seule chose : lorsque tout sera fini, le monde ne sera plus ce qu'il était."

    Francesca MELANDRI
    traduit de l'italien par Robert MAGGIORI
    Chère Francesca. Notre cœur est aussi en Italie et nous pensons fort à vous.
  • valteau

    218 messaggi

    Francia

    il y a un écrivain russe qui a fait la même chose vis a vis de l'europe il y a quelques années

    en clair , le systeme de gouvernement européen est sur les mêmes bases que l'ex URSS , avec les apparatchiks non élus et le systeme décisionnaire dupliqué , et il promet a l'europe le même avenir que l'ex URSS
  • leloupdort

    560 messaggi

    Francia

    L'écrivaine italienne Francesca Melandri écrit de Rome, où elle est confinée depuis le 9 mars. Quotidien chamboulé, vie sociale réinventée, angoisses exacerbées... son pays l'a expérimenté avant que nous y plongions aussi.

    "Je vous écris d'Italie, je vous écris donc depuis votre futur.
    Nous sommes maintenant là où vous serez dans quelques jours.
    Les courbes de l'épidémie nous montrent embrassés en une danse parallèle dans laquelle nous nous trouvons quelques pas devant vous sur la ligne du temps, tout comme Wuhan l'était par rapport à nous il y a quelques semaines.

    Nous voyons que vous vous comportez comme nous nous sommes comportés.

    Vous avez les mêmes discussions que celles que nous avions il y a encore peu de temps, entre ceux qui encore disent «toutes ces histoires pour ce qui est juste un peu plus qu'une grippe», et ceux qui ont déjà compris.

    D'ici, depuis votre futur, nous savons par exemple que lorsqu'ils vous diront de rester confinés chez vous, d'aucuns citeront Foucault, puis Hobbes. Mais très tôt vous aurez bien autre chose à faire.

    Avant tout, vous mangerez.
    Et pas seulement parce que cuisiner est l'une des rares choses que vous pourrez faire.

    Sur les réseaux sociaux, naîtront des groupes qui feront des propositions sur la manière dont on peut passer le temps utilement et de façon instructive ; vous vous inscrirez à tous, et, après quelques jours, vous n'en pourrez plus.

    Vous sortirez de vos étagères la Peste de Camus, mais découvrirez que vous n'avez pas vraiment envie de le lire.

    Vous mangerez de nouveau.
    Vous dormirez mal.
    Vous vous interrogerez sur le futur de la démocratie.
    Vous aurez une vie sociale irrésistible, entre apéritifs sur des tchats, rendez-vous groupés sur Zoom, dîners sur Skype.

    Vous manqueront comme jamais vos enfants adultes, et vous recevrez comme un coup de poing dans l'estomac la pensée que, pour la première fois depuis qu'ils ont quitté la maison, vous n'avez aucune idée de quand vous les reverrez.

    De vieux différends, de vieilles antipathies vous apparaîtront sans importance. Vous téléphonerez pour savoir comment ils vont à des gens que vous aviez juré de ne plus revoir.

    Beaucoup de femmes seront frappées dans leur maison.

    Vous vous demanderez comment ça se passe pour ceux qui ne peuvent pas rester à la maison, parce qu'ils n'en ont pas, de maison.

    Vous vous sentirez vulnérables quand vous sortirez faire des courses dans des rues vides, surtout si vous êtes une femme.

    Vous vous demanderez si c'est comme ça que s'effondrent les sociétés, si vraiment ça se passe aussi vite, vous vous interdirez d'avoir de telles pensées.

    Vous rentrerez chez vous, et vous mangerez.
    Vous prendrez du poids.
    Vous chercherez sur Internet des vidéos de fitness.
    Vous rirez, vous rirez beaucoup. Il en sortira un humour noir, sarcastique, à se pendre.

    Même ceux qui prennent toujours tout au sérieux auront pleine conscience de l'absurdité de la vie.

    Vous donnerez rendez-vous dans les queues organisées hors des magasins, pour rencontrer en personne les amis - mais à distance de sécurité.

    Tout ce dont vous n'avez pas besoin vous apparaîtra clairement.
    Vous sera révélée avec une évidence absolue la vraie nature des êtres humains qui sont autour de vous : vous aurez autant de confirmations que de surprises.

    De grands intellectuels qui jusqu'à hier avaient pontifié sur tout n'auront plus de mots et disparaîtront des médias, certains se réfugieront dans quelques abstractions intelligentes, mais auxquelles fera défaut le moindre souffle d'empathie, si bien que vous arrêterez de les écouter.

    Des personnes que vous aviez sous-estimées se révéleront au contraire pragmatiques, rassurantes, solides, généreuses, clairvoyantes.

    Ceux qui invitent à considérer tout cela comme une occasion de renaissance planétaire vous aideront à élargir la perspective, mais vous embêteront terriblement, aussi : la planète respire à cause de la diminution des émissions de CO2, mais vous, à la fin du mois, comment vous allez payer vos factures de gaz et d'électricité ?

    Vous ne comprendrez pas si assister à la naissance du monde de demain est une chose grandiose, ou misérable.

    Vous ferez de la musique aux balcons. Lorsque vous avez vu les vidéos où nous chantions de l'opéra, vous avez pensé

    «Ah ! les Italiens», mais nous, nous savons que vous aussi vous chanterez la Marseillaise. Et quand vous aussi des fenêtres lancerez à plein tube I Will Survive, nous, nous vous regarderons en acquiesçant, comme depuis Wuhan, où ils chantaient sur les balcons en février, ils nous ont regardés.

    Beaucoup s'endormiront en pensant que la première chose qu'ils feront dès qu'ils sortiront, sera de divorcer.
    Plein d'enfants seront conçus.

    Vos enfants suivront les cours en ligne, seront insupportables, vous donneront de la joie.
    Les aînés vous désobéiront, comme des adolescents ; vous devrez vous disputer pour éviter qu'ils n'aillent dehors, attrapent le virus et meurent.

    Vous essaierez de ne pas penser à ceux qui, dans les hôpitaux, meurent dans la solitude.
    Vous aurez envie de lancer des pétales de rose au personnel médical.
    On vous dira à quel point la société est unie dans un effort commun, et que vous êtes tous sur le même bateau. Ce sera vrai.

    Cette expérience changera à jamais votre perception d'individus. L'appartenance de classe fera quand même une très grande différence.
    Etre enfermé dans une maison avec terrasse et jardin ou dans un immeuble populaire surpeuplé : non, ce n'est pas la même chose.

    Et ce ne sera pas la même que de pouvoir travailler à la maison ou voir son travail se perdre.

    Ce bateau sur lequel vous serez ensemble pour vaincre l'épidémie ne semblera guère être la même chose pour tous, parce que ça ne l'est pas et ne l'a jamais été.

    A un certain moment, vous vous rendrez compte que c'est vraiment dur.
    Vous aurez peur.
    Vous en parlerez à ceux qui vous sont chers, ou alors vous garderez l'angoisse en vous, afin qu'ils ne la portent pas.
    Vous mangerez de nouveau.

    Voilà ce que nous vous disons d'Italie sur votre futur.

    Mais c'est une prophétie de petit, de très petit cabotage : quelques jours à peine.

    Si nous tournons le regard vers le futur lointain, celui qui vous est inconnu et nous est inconnu, alors nous ne pouvons vous dire qu'une seule chose : lorsque tout sera fini, le monde ne sera plus ce qu'il était."

    Francesca MELANDRI
    traduit de l'italien par Robert MAGGIORI
  • nyamulagira

    9977 messaggi

    Belgio

    Bonjour leloupdort,
    Merci pour ce lien vers une très belle chanson.
    Je ne connaissais pas du tout Thiefaine. Une belle occasion ainsi de le découvrir.
    Protégez vous bien ainsi que votre entourage familial.
    Bon dimanche sous le soleil condruzien et un petit 10°.
    HL
  • jfopat

    214 messaggi

    Francia

    L'écrivaine italienne Francesca Melandri écrit de Rome, où elle est confinée depuis le 9 mars. Quotidien chamboulé, vie sociale réinventée, angoisses exacerbées... son pays l'a expérimenté avant que nous y plongions aussi.

    "Je vous écris d'Italie, je vous écris donc depuis votre futur.
    Nous sommes maintenant là où vous serez dans quelques jours.
    Les courbes de l'épidémie nous montrent embrassés en une danse parallèle dans laquelle nous nous trouvons quelques pas devant vous sur la ligne du temps, tout comme Wuhan l'était par rapport à nous il y a quelques semaines.

    Nous voyons que vous vous comportez comme nous nous sommes comportés.

    Vous avez les mêmes discussions que celles que nous avions il y a encore peu de temps, entre ceux qui encore disent «toutes ces histoires pour ce qui est juste un peu plus qu'une grippe», et ceux qui ont déjà compris.

    D'ici, depuis votre futur, nous savons par exemple que lorsqu'ils vous diront de rester confinés chez vous, d'aucuns citeront Foucault, puis Hobbes. Mais très tôt vous aurez bien autre chose à faire.

    Avant tout, vous mangerez.
    Et pas seulement parce que cuisiner est l'une des rares choses que vous pourrez faire.

    Sur les réseaux sociaux, naîtront des groupes qui feront des propositions sur la manière dont on peut passer le temps utilement et de façon instructive ; vous vous inscrirez à tous, et, après quelques jours, vous n'en pourrez plus.

    Vous sortirez de vos étagères la Peste de Camus, mais découvrirez que vous n'avez pas vraiment envie de le lire.

    Vous mangerez de nouveau.
    Vous dormirez mal.
    Vous vous interrogerez sur le futur de la démocratie.
    Vous aurez une vie sociale irrésistible, entre apéritifs sur des tchats, rendez-vous groupés sur Zoom, dîners sur Skype.

    Vous manqueront comme jamais vos enfants adultes, et vous recevrez comme un coup de poing dans l'estomac la pensée que, pour la première fois depuis qu'ils ont quitté la maison, vous n'avez aucune idée de quand vous les reverrez.

    De vieux différends, de vieilles antipathies vous apparaîtront sans importance. Vous téléphonerez pour savoir comment ils vont à des gens que vous aviez juré de ne plus revoir.

    Beaucoup de femmes seront frappées dans leur maison.

    Vous vous demanderez comment ça se passe pour ceux qui ne peuvent pas rester à la maison, parce qu'ils n'en ont pas, de maison.

    Vous vous sentirez vulnérables quand vous sortirez faire des courses dans des rues vides, surtout si vous êtes une femme.

    Vous vous demanderez si c'est comme ça que s'effondrent les sociétés, si vraiment ça se passe aussi vite, vous vous interdirez d'avoir de telles pensées.

    Vous rentrerez chez vous, et vous mangerez.
    Vous prendrez du poids.
    Vous chercherez sur Internet des vidéos de fitness.
    Vous rirez, vous rirez beaucoup. Il en sortira un humour noir, sarcastique, à se pendre.

    Même ceux qui prennent toujours tout au sérieux auront pleine conscience de l'absurdité de la vie.

    Vous donnerez rendez-vous dans les queues organisées hors des magasins, pour rencontrer en personne les amis - mais à distance de sécurité.

    Tout ce dont vous n'avez pas besoin vous apparaîtra clairement.
    Vous sera révélée avec une évidence absolue la vraie nature des êtres humains qui sont autour de vous : vous aurez autant de confirmations que de surprises.

    De grands intellectuels qui jusqu'à hier avaient pontifié sur tout n'auront plus de mots et disparaîtront des médias, certains se réfugieront dans quelques abstractions intelligentes, mais auxquelles fera défaut le moindre souffle d'empathie, si bien que vous arrêterez de les écouter.

    Des personnes que vous aviez sous-estimées se révéleront au contraire pragmatiques, rassurantes, solides, généreuses, clairvoyantes.

    Ceux qui invitent à considérer tout cela comme une occasion de renaissance planétaire vous aideront à élargir la perspective, mais vous embêteront terriblement, aussi : la planète respire à cause de la diminution des émissions de CO2, mais vous, à la fin du mois, comment vous allez payer vos factures de gaz et d'électricité ?

    Vous ne comprendrez pas si assister à la naissance du monde de demain est une chose grandiose, ou misérable.

    Vous ferez de la musique aux balcons. Lorsque vous avez vu les vidéos où nous chantions de l'opéra, vous avez pensé

    «Ah ! les Italiens», mais nous, nous savons que vous aussi vous chanterez la Marseillaise. Et quand vous aussi des fenêtres lancerez à plein tube I Will Survive, nous, nous vous regarderons en acquiesçant, comme depuis Wuhan, où ils chantaient sur les balcons en février, ils nous ont regardés.

    Beaucoup s'endormiront en pensant que la première chose qu'ils feront dès qu'ils sortiront, sera de divorcer.
    Plein d'enfants seront conçus.

    Vos enfants suivront les cours en ligne, seront insupportables, vous donneront de la joie.
    Les aînés vous désobéiront, comme des adolescents ; vous devrez vous disputer pour éviter qu'ils n'aillent dehors, attrapent le virus et meurent.

    Vous essaierez de ne pas penser à ceux qui, dans les hôpitaux, meurent dans la solitude.
    Vous aurez envie de lancer des pétales de rose au personnel médical.
    On vous dira à quel point la société est unie dans un effort commun, et que vous êtes tous sur le même bateau. Ce sera vrai.

    Cette expérience changera à jamais votre perception d'individus. L'appartenance de classe fera quand même une très grande différence.
    Etre enfermé dans une maison avec terrasse et jardin ou dans un immeuble populaire surpeuplé : non, ce n'est pas la même chose.

    Et ce ne sera pas la même que de pouvoir travailler à la maison ou voir son travail se perdre.

    Ce bateau sur lequel vous serez ensemble pour vaincre l'épidémie ne semblera guère être la même chose pour tous, parce que ça ne l'est pas et ne l'a jamais été.

    A un certain moment, vous vous rendrez compte que c'est vraiment dur.
    Vous aurez peur.
    Vous en parlerez à ceux qui vous sont chers, ou alors vous garderez l'angoisse en vous, afin qu'ils ne la portent pas.
    Vous mangerez de nouveau.

    Voilà ce que nous vous disons d'Italie sur votre futur.

    Mais c'est une prophétie de petit, de très petit cabotage : quelques jours à peine.

    Si nous tournons le regard vers le futur lointain, celui qui vous est inconnu et nous est inconnu, alors nous ne pouvons vous dire qu'une seule chose : lorsque tout sera fini, le monde ne sera plus ce qu'il était."

    Francesca MELANDRI
    traduit de l'italien par Robert MAGGIORI
    Merci à vous de nous avoir fait découvrir ce magnifique texte, vraiment ! Avec toute ma reconnaissance JF
  • giapoz49k

    2457 messaggi

    Italia

    Francesca Melandri écrit de Rome,
    où la pandémie se poursuit. . .
    vécu dans le nord de l'Italie, pourrait faire un texte beaucoup plus grossier.
    Soyez très prudent.

    Bonjour; salut,
    lunettes + 1,50 m., Gianpiero
  • giapoz49k

    2457 messaggi

    Italia

    bonjour, si vous devez (nécessairement) sortir:
    masques, gants et lunettes + 1,50 m., Gianpiero
  • giapoz49k

    2457 messaggi

    Italia

    La traduction précédente n'était pas compréhensible,
    alors peut-être que c'est plus charo:
     
    Francesca Melandri écrit de Rome,
    où la pandémie est encore minime. . .
    s'il vivait dans le nord de l'Italie, il pourrait faire un texte beaucoup plus sérieux.
    Soyez très prudent.

    bonjour, si vous devez (nécessairement) sortir:
    masques, gants et lunettes + 1,50 m., Gianpiero
  • giapoz49k

    2457 messaggi

    Italia

    La traduction précédente n'était pas compréhensible,
    alors peut-être que c'est plus clair:
     
    Francesca Melandri écrit de Rome,
    où la pandémie est encore minime. . .
    s'il a vécu dans l'Italie du Nord, vous pourriez faire un texte beaucoup plus grave.
    Soyez très prudent.

    bonjour, si vous devez (nécessairement) sortir:
    masques, gants et lunettes + 1,50 m., Gianpiero
  • carto06

    1 messaggio

    Francia

    L'écrivaine italienne Francesca Melandri écrit de Rome, où elle est confinée depuis le 9 mars. Quotidien chamboulé, vie sociale réinventée, angoisses exacerbées... son pays l'a expérimenté avant que nous y plongions aussi.

    "Je vous écris d'Italie, je vous écris donc depuis votre futur.
    Nous sommes maintenant là où vous serez dans quelques jours.
    Les courbes de l'épidémie nous montrent embrassés en une danse parallèle dans laquelle nous nous trouvons quelques pas devant vous sur la ligne du temps, tout comme Wuhan l'était par rapport à nous il y a quelques semaines.

    Nous voyons que vous vous comportez comme nous nous sommes comportés.

    Vous avez les mêmes discussions que celles que nous avions il y a encore peu de temps, entre ceux qui encore disent «toutes ces histoires pour ce qui est juste un peu plus qu'une grippe», et ceux qui ont déjà compris.

    D'ici, depuis votre futur, nous savons par exemple que lorsqu'ils vous diront de rester confinés chez vous, d'aucuns citeront Foucault, puis Hobbes. Mais très tôt vous aurez bien autre chose à faire.

    Avant tout, vous mangerez.
    Et pas seulement parce que cuisiner est l'une des rares choses que vous pourrez faire.

    Sur les réseaux sociaux, naîtront des groupes qui feront des propositions sur la manière dont on peut passer le temps utilement et de façon instructive ; vous vous inscrirez à tous, et, après quelques jours, vous n'en pourrez plus.

    Vous sortirez de vos étagères la Peste de Camus, mais découvrirez que vous n'avez pas vraiment envie de le lire.

    Vous mangerez de nouveau.
    Vous dormirez mal.
    Vous vous interrogerez sur le futur de la démocratie.
    Vous aurez une vie sociale irrésistible, entre apéritifs sur des tchats, rendez-vous groupés sur Zoom, dîners sur Skype.

    Vous manqueront comme jamais vos enfants adultes, et vous recevrez comme un coup de poing dans l'estomac la pensée que, pour la première fois depuis qu'ils ont quitté la maison, vous n'avez aucune idée de quand vous les reverrez.

    De vieux différends, de vieilles antipathies vous apparaîtront sans importance. Vous téléphonerez pour savoir comment ils vont à des gens que vous aviez juré de ne plus revoir.

    Beaucoup de femmes seront frappées dans leur maison.

    Vous vous demanderez comment ça se passe pour ceux qui ne peuvent pas rester à la maison, parce qu'ils n'en ont pas, de maison.

    Vous vous sentirez vulnérables quand vous sortirez faire des courses dans des rues vides, surtout si vous êtes une femme.

    Vous vous demanderez si c'est comme ça que s'effondrent les sociétés, si vraiment ça se passe aussi vite, vous vous interdirez d'avoir de telles pensées.

    Vous rentrerez chez vous, et vous mangerez.
    Vous prendrez du poids.
    Vous chercherez sur Internet des vidéos de fitness.
    Vous rirez, vous rirez beaucoup. Il en sortira un humour noir, sarcastique, à se pendre.

    Même ceux qui prennent toujours tout au sérieux auront pleine conscience de l'absurdité de la vie.

    Vous donnerez rendez-vous dans les queues organisées hors des magasins, pour rencontrer en personne les amis - mais à distance de sécurité.

    Tout ce dont vous n'avez pas besoin vous apparaîtra clairement.
    Vous sera révélée avec une évidence absolue la vraie nature des êtres humains qui sont autour de vous : vous aurez autant de confirmations que de surprises.

    De grands intellectuels qui jusqu'à hier avaient pontifié sur tout n'auront plus de mots et disparaîtront des médias, certains se réfugieront dans quelques abstractions intelligentes, mais auxquelles fera défaut le moindre souffle d'empathie, si bien que vous arrêterez de les écouter.

    Des personnes que vous aviez sous-estimées se révéleront au contraire pragmatiques, rassurantes, solides, généreuses, clairvoyantes.

    Ceux qui invitent à considérer tout cela comme une occasion de renaissance planétaire vous aideront à élargir la perspective, mais vous embêteront terriblement, aussi : la planète respire à cause de la diminution des émissions de CO2, mais vous, à la fin du mois, comment vous allez payer vos factures de gaz et d'électricité ?

    Vous ne comprendrez pas si assister à la naissance du monde de demain est une chose grandiose, ou misérable.

    Vous ferez de la musique aux balcons. Lorsque vous avez vu les vidéos où nous chantions de l'opéra, vous avez pensé

    «Ah ! les Italiens», mais nous, nous savons que vous aussi vous chanterez la Marseillaise. Et quand vous aussi des fenêtres lancerez à plein tube I Will Survive, nous, nous vous regarderons en acquiesçant, comme depuis Wuhan, où ils chantaient sur les balcons en février, ils nous ont regardés.

    Beaucoup s'endormiront en pensant que la première chose qu'ils feront dès qu'ils sortiront, sera de divorcer.
    Plein d'enfants seront conçus.

    Vos enfants suivront les cours en ligne, seront insupportables, vous donneront de la joie.
    Les aînés vous désobéiront, comme des adolescents ; vous devrez vous disputer pour éviter qu'ils n'aillent dehors, attrapent le virus et meurent.

    Vous essaierez de ne pas penser à ceux qui, dans les hôpitaux, meurent dans la solitude.
    Vous aurez envie de lancer des pétales de rose au personnel médical.
    On vous dira à quel point la société est unie dans un effort commun, et que vous êtes tous sur le même bateau. Ce sera vrai.

    Cette expérience changera à jamais votre perception d'individus. L'appartenance de classe fera quand même une très grande différence.
    Etre enfermé dans une maison avec terrasse et jardin ou dans un immeuble populaire surpeuplé : non, ce n'est pas la même chose.

    Et ce ne sera pas la même que de pouvoir travailler à la maison ou voir son travail se perdre.

    Ce bateau sur lequel vous serez ensemble pour vaincre l'épidémie ne semblera guère être la même chose pour tous, parce que ça ne l'est pas et ne l'a jamais été.

    A un certain moment, vous vous rendrez compte que c'est vraiment dur.
    Vous aurez peur.
    Vous en parlerez à ceux qui vous sont chers, ou alors vous garderez l'angoisse en vous, afin qu'ils ne la portent pas.
    Vous mangerez de nouveau.

    Voilà ce que nous vous disons d'Italie sur votre futur.

    Mais c'est une prophétie de petit, de très petit cabotage : quelques jours à peine.

    Si nous tournons le regard vers le futur lointain, celui qui vous est inconnu et nous est inconnu, alors nous ne pouvons vous dire qu'une seule chose : lorsque tout sera fini, le monde ne sera plus ce qu'il était."

    Francesca MELANDRI
    traduit de l'italien par Robert MAGGIORI
    très beau message!
  • griffman

    501 messaggi

    Francia

    L'écrivaine italienne Francesca Melandri écrit de Rome, où elle est confinée depuis le 9 mars. Quotidien chamboulé, vie sociale réinventée, angoisses exacerbées... son pays l'a expérimenté avant que nous y plongions aussi.

    "Je vous écris d'Italie, je vous écris donc depuis votre futur.
    Nous sommes maintenant là où vous serez dans quelques jours.
    Les courbes de l'épidémie nous montrent embrassés en une danse parallèle dans laquelle nous nous trouvons quelques pas devant vous sur la ligne du temps, tout comme Wuhan l'était par rapport à nous il y a quelques semaines.

    Nous voyons que vous vous comportez comme nous nous sommes comportés.

    Vous avez les mêmes discussions que celles que nous avions il y a encore peu de temps, entre ceux qui encore disent «toutes ces histoires pour ce qui est juste un peu plus qu'une grippe», et ceux qui ont déjà compris.

    D'ici, depuis votre futur, nous savons par exemple que lorsqu'ils vous diront de rester confinés chez vous, d'aucuns citeront Foucault, puis Hobbes. Mais très tôt vous aurez bien autre chose à faire.

    Avant tout, vous mangerez.
    Et pas seulement parce que cuisiner est l'une des rares choses que vous pourrez faire.

    Sur les réseaux sociaux, naîtront des groupes qui feront des propositions sur la manière dont on peut passer le temps utilement et de façon instructive ; vous vous inscrirez à tous, et, après quelques jours, vous n'en pourrez plus.

    Vous sortirez de vos étagères la Peste de Camus, mais découvrirez que vous n'avez pas vraiment envie de le lire.

    Vous mangerez de nouveau.
    Vous dormirez mal.
    Vous vous interrogerez sur le futur de la démocratie.
    Vous aurez une vie sociale irrésistible, entre apéritifs sur des tchats, rendez-vous groupés sur Zoom, dîners sur Skype.

    Vous manqueront comme jamais vos enfants adultes, et vous recevrez comme un coup de poing dans l'estomac la pensée que, pour la première fois depuis qu'ils ont quitté la maison, vous n'avez aucune idée de quand vous les reverrez.

    De vieux différends, de vieilles antipathies vous apparaîtront sans importance. Vous téléphonerez pour savoir comment ils vont à des gens que vous aviez juré de ne plus revoir.

    Beaucoup de femmes seront frappées dans leur maison.

    Vous vous demanderez comment ça se passe pour ceux qui ne peuvent pas rester à la maison, parce qu'ils n'en ont pas, de maison.

    Vous vous sentirez vulnérables quand vous sortirez faire des courses dans des rues vides, surtout si vous êtes une femme.

    Vous vous demanderez si c'est comme ça que s'effondrent les sociétés, si vraiment ça se passe aussi vite, vous vous interdirez d'avoir de telles pensées.

    Vous rentrerez chez vous, et vous mangerez.
    Vous prendrez du poids.
    Vous chercherez sur Internet des vidéos de fitness.
    Vous rirez, vous rirez beaucoup. Il en sortira un humour noir, sarcastique, à se pendre.

    Même ceux qui prennent toujours tout au sérieux auront pleine conscience de l'absurdité de la vie.

    Vous donnerez rendez-vous dans les queues organisées hors des magasins, pour rencontrer en personne les amis - mais à distance de sécurité.

    Tout ce dont vous n'avez pas besoin vous apparaîtra clairement.
    Vous sera révélée avec une évidence absolue la vraie nature des êtres humains qui sont autour de vous : vous aurez autant de confirmations que de surprises.

    De grands intellectuels qui jusqu'à hier avaient pontifié sur tout n'auront plus de mots et disparaîtront des médias, certains se réfugieront dans quelques abstractions intelligentes, mais auxquelles fera défaut le moindre souffle d'empathie, si bien que vous arrêterez de les écouter.

    Des personnes que vous aviez sous-estimées se révéleront au contraire pragmatiques, rassurantes, solides, généreuses, clairvoyantes.

    Ceux qui invitent à considérer tout cela comme une occasion de renaissance planétaire vous aideront à élargir la perspective, mais vous embêteront terriblement, aussi : la planète respire à cause de la diminution des émissions de CO2, mais vous, à la fin du mois, comment vous allez payer vos factures de gaz et d'électricité ?

    Vous ne comprendrez pas si assister à la naissance du monde de demain est une chose grandiose, ou misérable.

    Vous ferez de la musique aux balcons. Lorsque vous avez vu les vidéos où nous chantions de l'opéra, vous avez pensé

    «Ah ! les Italiens», mais nous, nous savons que vous aussi vous chanterez la Marseillaise. Et quand vous aussi des fenêtres lancerez à plein tube I Will Survive, nous, nous vous regarderons en acquiesçant, comme depuis Wuhan, où ils chantaient sur les balcons en février, ils nous ont regardés.

    Beaucoup s'endormiront en pensant que la première chose qu'ils feront dès qu'ils sortiront, sera de divorcer.
    Plein d'enfants seront conçus.

    Vos enfants suivront les cours en ligne, seront insupportables, vous donneront de la joie.
    Les aînés vous désobéiront, comme des adolescents ; vous devrez vous disputer pour éviter qu'ils n'aillent dehors, attrapent le virus et meurent.

    Vous essaierez de ne pas penser à ceux qui, dans les hôpitaux, meurent dans la solitude.
    Vous aurez envie de lancer des pétales de rose au personnel médical.
    On vous dira à quel point la société est unie dans un effort commun, et que vous êtes tous sur le même bateau. Ce sera vrai.

    Cette expérience changera à jamais votre perception d'individus. L'appartenance de classe fera quand même une très grande différence.
    Etre enfermé dans une maison avec terrasse et jardin ou dans un immeuble populaire surpeuplé : non, ce n'est pas la même chose.

    Et ce ne sera pas la même que de pouvoir travailler à la maison ou voir son travail se perdre.

    Ce bateau sur lequel vous serez ensemble pour vaincre l'épidémie ne semblera guère être la même chose pour tous, parce que ça ne l'est pas et ne l'a jamais été.

    A un certain moment, vous vous rendrez compte que c'est vraiment dur.
    Vous aurez peur.
    Vous en parlerez à ceux qui vous sont chers, ou alors vous garderez l'angoisse en vous, afin qu'ils ne la portent pas.
    Vous mangerez de nouveau.

    Voilà ce que nous vous disons d'Italie sur votre futur.

    Mais c'est une prophétie de petit, de très petit cabotage : quelques jours à peine.

    Si nous tournons le regard vers le futur lointain, celui qui vous est inconnu et nous est inconnu, alors nous ne pouvons vous dire qu'une seule chose : lorsque tout sera fini, le monde ne sera plus ce qu'il était."

    Francesca MELANDRI
    traduit de l'italien par Robert MAGGIORI
    Bonjour

    Merveilleux récit ...... j'ai beaucoup moins rigolé qu'avec les autres.
    Cordialement.
    JFG
  • contoi42

    172 messaggi

    Francia

    Merci pour ce message.
    Cordialement

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