CHATEAUBRIAND – Lettre autographe signée – Révolution, transformation sociale et Europe - 1832
François-René vicomte de Chateaubriand (1768-1848), écrivain, mémorialiste et homme politique. Considéré comme l'un des précurseurs et pionniers du romantisme français et un des grands noms de la littérature française.
Très belle lettre autographe signée, S.l., 1832 ; 4 pages in-8, au célèbre chansonnier et poète Pierre-Jean Béranger*. Lettre présente dans les Mémoires d’outre-tombe - Quatrième partie- Livre II.
Après la Révolution de 1830, Chateaubriand se retira des affaires, opposé aux partis conservateurs et désabusé sur l'avenir de la monarchie. Il se réfugia en Suisse après avoir refusé de reconnaître à la chambre des pairs la légitimité du pouvoir de Louis-Philippe. L'écrivain Pierre-Jean de Béranger qui considérait Chateaubriand comme le plus grand écrivain du siècle, lui consacra avec talent plusieurs vers et chansons devenus très populaires ("Chateaubriand, pourquoi fuir ta patrie, fuir son amour notre encens et nos soins? N'entends-tu pas la France qui s'écrie: mon beau ciel pleure une étoile de moins").
« Un de ses plus glorieux titres au souvenir des hommes » écrit ici Chateaubriand dont la lettre témoigne surtout des formidables intelligences et visions politiques et historiques de son auteur. « Rare qu'un grand artiste possède des dons politiques à ce degré » écrira de lui le Général de Gaulle. Chateaubriand, d’une rare clairvoyance, démontre par cette lettre de la justesse de ce jugement.
« […] Je voulais, monsieur, aller vous dire adieu et vous remercier de votre souvenir ; le temps m’a manqué et je suis obligé de partir sans avoir le plaisir de vous voir et de vous embrasser.
J’ignore mon avenir : y a-t-il aujourd’hui un avenir clair pour personne ? Nous ne sommes pas dans un temps de révolution, mais de transformation sociale : or les transformations s’accomplissent lentement, et les générations qui se trouvent placées dans la période de la métamorphose périssent obscures et misérables.
Si l’Europe (ce qui pourrait bien être) est à l’âge de la décrépitude, c’est une autre affaire : elle ne produira rien, et s’éteindra dans une impuissante anarchie de passions, de mœurs et de doctrines. En ce cas, monsieur, vous aurez chanté sur un tombeau.
J’ai rempli, monsieur, tous mes engagements ; […] ; j’ai défendu ce que j’étais venu défendre. J’ai subi le choléra et un peu de persécution : je retourne à la Montagne.
Ne brisez pas votre lyre, comme vous nous en menacez ; je lui dois un de mes plus glorieux titres au souvenir des hommes. Faites encore sourire et pleurer la France ; car il arrive, par un secret de vous seul connu, que dans vos chansons populaires les paroles sont gaies et la musique plaintive.
Je me recommande à votre amitié et à votre muse […] »
* Pierre-Jean de Béranger (1780-1857), chansonnier, poète, écrivain et pamphlétaire.
Bon état – envoi par lettre recommandée